La pratique de la néphrologie lorsqu’on est originaire de la zone ACP ( Afrique-Caraïbe-Pacifique) ne peut pas se faire dans la banalité d’une spécialité qui serait coupée de son environnement naturel. L’environnement tropical si particulier est chargé d’histoires et de mythes autour de l’art de soigner, d’us et de coutumes qui croisent la modernité actuelle et modifient la présentation de la maladie par rapport à celle des autres lieux de la planète que ce soit dans sa partie haute ou basse. 

Les tropiques, cette zone qui s’étend en longueur autour de l’Équateur se caractérise par la présence d’une biodiversité des plus riches et extraordinaires au monde. 

Des voies médicales avant la nôtre ont ressenti le besoin de faire connaître «la néphrologie tropicale» qui est une entité particulière. Même si on vit hors de la région, on la transporte avec soi dans ses gênes, dans ses habitudes de vie. Elle fait souvent le soubassement d’affections auxquelles peuvent s’en ajouter d’autres et s’exprimer avec une violence inouïe dans tout le corps. 

Focus sur les territoires d’outre-mer

Les Outre-mer Français comportent 2,8 millions d’habitants soit 4% de la population française totale répartie dans des zones géographiques très éloignées les unes des autres. Ils s’inscrivent dans des cadres institutionnels différents. 

N’ayant pas d’études similaires au rapport rein décrivant les populations par leur origines ethniques, nous avons décidé d’utiliser ce panel qui est très représentatif de la situation réelle de l’ensemble des personnes issues de la zone tropicale en ce qui concerne la maladie rénale.

L’ensemble des départements, régions  et territoires d’Outre-mer répartis sur les 5 continents constitue une entité géographique ayant chacune leurs propres problématiques mais des spécificités sanitaires d’une nature et d’une ampleur particulière.

Les données d’incidence sont standardisées sur l’ensemble du territoire français y compris les 5 départements d’Outre-Mer.

L’incidence brute globale de l’insuffisance rénale chronique terminale dans les départements et territoires d’outre-mer est de 266 par million d’habitants, soit près de 1,5 fois celui de la métropole. 

Cet écart s’aggrave après prise en compte de l’âge et du sexe de la population générale. Avec un âge moyen de 62 ans, les patients ultramarins sont plus jeunes que ceux de l’Hexagone. 

À Mayotte et en Polynésie, l’âge moyen est encore plus bas, il se situe en-dessous de 60 ans. Il faut noter que pour ce qui est de la prise en charge des plus jeunes, les enfants sont dirigés vers la métropole, sauf à la Réunion où il existe un centre de dialyse pédiatrique.

Les 5 régions d’Outre Mer ont un taux de prévalence globale de la maladie rénale chronique significativement plus élevé que le taux national. 

La prévalence est de 2805 pmh, avec un taux de 1,8 fois supérieur à la métropole en ce qui concerne les régions de Mayotte, Antilles, Guyane, il faut constater un taux 3 fois supérieur à celui de l’ Hexagone pour la Réunion, la Nouvelle Calédonie et Wallis et Futuna.

L’offre de soins en région ultramarine est moins développée que dans l’Hexagone et se caractérise par un ratio moindre de néphrologues par patient ( 1,3 en Guadeloupe; 1,8 à la Réunion) contre 2 pour 100 patients en file active en métropole. Quant aux populations, elles sont plus précaires et proportionnellement plus nombreuses.

Les mises en dialyse se font le plus souvent sur le mode de l’urgence sans que le patient n’ait eu le temps d’être préparé et accompagné. 

En ce qui concerne les comorbidités, 64% des patients qui entrent en dialyse sont diabétiques en Martinique et à la Réunion, à Mayotte c’est 66% en Guadeloupe le taux est de 55,6% et un peu moins de 35% en Guyane.

Ces taux sont le double de ce qui est observé en métropole. De plus, les populations diabétiques sont plus jeunes, plus précaires, avec plus de femmes. 

L’hypertension artérielle est une autre cause importante de maladie rénale chronique terminale et elle occupe un haut niveau de prévalence dans les DOM-TOM-POM et les femmes y sont notamment plus touchées qu’en France hexagonale.

Les autres comorbidités cardiovasculaire (l’infarctus du Myocarde, L’ AVC, trouble du rythme, artériopathie, anévrisme) sont bien présentes chez les patients des DOM. En Guadeloupe elle est de 42,2 %, en Guyane de 34,1 %, en Martinique 38,9%, à Mayotte 50% et à la Réunion 58%. 

L’obésité avec un IMC> 30 kg/m2 est plus fréquente en Outre Mer que dans l’ Hexagone. Elle est estimée à 15% de la population française, alors qu’elle touche 22,9%, 22%, 17,9% et 33% respectivement des populations en Guadeloupe, Martinique, Guyane et Polynésie. Ce n’est d’ailleurs pas une spécificité puisqu’on parle d’épidémie mondiale d’obésité.

On constate donc que ces populations d’origine afro-caribéenne, polynésiennes et mélanésiennes, sont plus à risque de développer les pathologies métaboliques dans un contexte environnemental en transition ou s’installe l’urbanisation et la sédentarisation au détriment du mode de vie rural ou semi rural du passé. 

De plus, la nature et la qualité des produits alimentaires spécifiques aux DOM-TOM-POM qui sont plus sucrés, plus salés par rapport à l’ Hexagone a été dénoncée au plus haut niveau de l’état ( Loi Lurel: Question écrite au Parlement Européen du Député Patrice Tirolien; rapport parlementaire des députés Vainqueur; travail de la Sénatrice Victoire Jasmin) car cet état de fait constitue le terrain propice au développement des pathologies cardio-vasculaires et rénales.

Les autres comorbidités, telles que l’insuffisance respiratoire chronique, les infections par les virus des hépatites B et C et le SIDA et la pathologie cancéreuse se retrouvent dans les Outre-mers. Le taux de VIH en Guadeloupe est à 2,3%, en Guyane 2,4% contre 3,2 en Île de France.. En Martinique et à Mayotte il est de 0% pour un taux de 0,4% à la Réunion.

Dans ces régions, l’accès à la greffe est également difficile. En 2019, 218 patients ont été inscrits sur la liste d’attente d’une transplantation rénale, venant rejoindre les 889 déjà inscrits. 

Les régions ultramarines ont des caractéristiques communes qui relèvent du profil clinique des patients et de l’état de l’offre de soins. Les indicateurs pris pour identifier les priorités des interventions de santé publique dans ces territoires sont l’initiation de la dialyse, le taux de démarrage en urgence de la première dialyse, la prise en charge de l’anémie, et l’accès à la greffe rénale qui s’affichent comme étant des indicateurs pertinents pour mesurer l’atteinte de l’objectif.

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